Dans l’oeil du coach : J’entraîne un “extraterrestre”

J’entraîne un  “extraterrestre”

Un soir un jeune homme venant du monde du football se présente au stade de Champel et exprime son souhait de découvrir l’athlétisme auprès de Jessica Barbey. Par quel cheminement il est arrivé dans mon groupe de sauteur en longueur.. ? Le hasard… ? Mais, je pense que cela devait-être son désir, je n’en ai pas la certitude tellement il est arrivé sur la pointe des pieds, timidement et en toute discrétion, sans bruit tel un chuchotement lointain à peine perceptible à l’oreille. Juste que là rien d’anormal, c’est le processus normal de presque tout nouveau arrivant.

Dès les premiers entraînements, une évidence m’apparut démontrant un jeune homme en manque de coordination, pas très à l’aise avec son corps en perpétuel conflit avec lui. Malgré cela, un élément se révéla à mes yeux, comme indiqué dans le paragraphe auparavant il est arrivé sur la pointe des pieds, c’est son posage de pied quand il court qui m’interpella « il est en pointe de pied » Comment… à la réception du pied il peut être en pointe et impulser avec une réactivité au- dessus de la normale… ?

Durant la première année de sa préparation hivernale, je n’ai pas eu le privilège de l’entraîner, en cause, il travaille la journée et ne peut se libérer pour retrouver le groupe longueur le mercredi au Pavillon de Champel de 13h00 à 15h00. Donc, mes retrouvailles avec lui s’effectueront au printemps 2017. Je retrouve à ce moment un sportif qu’il faut transformer en athlète.  Il est toujours en proie avec cette coordination. Je dois lui apprendre à maîtriser son corps sur la piste et dans les airs lors des sauts en longueur. Tel un moulin à prière je vais sans cesse le corriger, l’encourager, le stimuler pour apprivoiser son corps. Je ne parle jamais avec lui des points négatifs et « encore moins de dire que c’est mauvais »Je n’utilise que le langage qui  précise les points à améliorer. Je souhaite qu’il prenne confiance. Il n’existe pas à mes yeux d’expériences négatives.

Il n’y a que des occasions de mûrir, d’apprendre le chemin qui amène à la maîtrise de soi. A ce moment, je prends conscience que le chemin va être long. Confirmation dès ses premières compétitions. Je martèle mon message pour qu’il puisse libérer son potentiel. Je libère de mes connaissances tous les exercices pouvant être susceptible de le faire progresser, j’en invente des nouveaux pour le faire avancer. Corriger, encore corriger, rien n’est simple. Je vais utiliser la vidéo tel un miroir pour renvoyer son image, afin qu’il perçoive les points qu’il doit améliorer. Comment harmoniser le haut du corps avec le bas. Cela devient un objectif prioritaire pour moi. Gérer cette obsession.

Parfois, j’ai eu envie de baisser les bras, mais je n’ai pas le droit de prendre cette tangente. C’est un défi pour moi, et je dois le relever car je sais qu’il y a cette explosivité du pied hors du commun qui doit-être exploitée. Elle pourrait être juste fabuleuse si bien utilisée, et si ce corps voulait bien lui aussi se coordonner. L’horizon serait plus clément, et il pourrait savourer les satisfactions d’une progression que je souhaite ardemment pour lui. Sa discrétion est toujours présente sur le sautoir. Sa volonté, sa générosité me réconforte, il ne lâche rien, sa motivation  de réussir est palpable. Il faut que le déclic se produise. Je sais  que ses pieds c’est de la dynamite, je souhaite la faire exploser cette dynamite pour que s’ouvre son chemin vers les récompenses. J’ai envie que le soleil resplendisse sur le sautoir et apporte sa luminosité dans le sable laissant apparaître les empreintes des pieds de plus en plus loin pour qu’il se fasse connaître, et que son prénom s’inscrive dans  les statistiques genevoises, et pourquoi pas en Suisse.

Parfois je l’appelle Mistral gagnant en référence à la chanson du chanteur qui porte le même prénom que lui. Parce-que il s’agit bien dans ce récit de RENAUD CUENAT.

Renaud à qui j’ai bien failli en toute sincérité lui dire à la fin de la saison 2017 de s’orienter vers un autre groupe dans l’athlétisme. Je ne l’ai pas fait parce-que  l’espérance d’une petite lueur était toujours présente en moi. Mais, je reconnais que ma flamme vacillait. C’est moi maintenant qui rentrais en conflit avec moi-même. Le doute commençait à s’installer dans ma tête, et dans ce moment-là je vais me ressourcer dans mon livre favori «  Le moine qui vendit sa Ferrari » qui est ma source d’inspiration. Dans mon cerveau j’avais un hémisphère en proie au doute, et dans l’autre le message entrevoyait que la dynamite devait exploser. Mais comment la faire exploser… ?

C’est l’illumination d’un autre athlète qui va allumer la mèche. Oui, c’est Louis Mallet qui me suggère de le tester sur le triple saut en février 2018. Et dès le début du travail dans cette discipline la qualité de son pied s’avère en parfaite osmose avec le triple saut. De plus, en enchaînant le travail des multi-sauts, il s’avère que sa fausse jambe est capable de produire des sauts justes incroyables. Révélation, confirmation c’est la discipline qui se marie parfaitement avec l’explosivité de ses pieds.  Merveilleux mariage qui vont devenir source d’inspiration.

Il faut que je lui transmette la joie d’être sur un sautoir, je dois lui insuffler le feu de la passion dans tout ce qu’il fait. Mars et avril travail orienté vers l’assimilation de la technique du cloche pied, du bondissement, et du ramené. Retravail sur la coordination de son corps. Renaud progresse, gentiment, mais  ce n’est pas des pas de géant, mais il a mis le cap sur la progression, comme un marin qui a orienté ses voiles pour que le vent s’y engouffre et le pousse dans la bonne direction. Son premier concours de triple saut au mois de mai va conforter qu’il a une grande marge de progression. Il fait plaisir à voir, sa timidité s’estompe petit à petit. Il prend du plaisir sur le sautoir. Début juin à Bâle lors du CSI il va être confronté au meilleur triple sauteur de suisse, un test grandeur nature. Loin d’être impressionné, il va me régaler par un saut  au-delà des 13 mètres plus précisément 13,16 mètres et obtenir ainsi ses minimas pour les championnats suisses. 3 mois d’entraînement et déjà plus de 13 mètres… !. 3 mois plus tard il atteindra les 13,60 mètres aux championnats suisses à Aarau en catégorie U20 et montera sur la 3èmemarche du podium.

Voilà pourquoi je dis que c’est un extraterrestre. 6 mois d’entraînement et déjà sur un podium suisse, et 3ème meilleur performance suisse de la saison 2018.

Un jour je suis convaincu qu’il réalisera les 15 mètres. Certains diront que je suis fou, mais la folie est également un vecteur d’une certaine vision. La magie de la visualisation peut opérer, et je pense dans le cas de Renaud qu’elle va opérer. Le temps est son allié et sa marge de progression est importante. Que c’est beau de rêver, et que dire de plus de ce jeune homme timide, réservé, en manque de coordination à ses début, et qui maintenant  va aller titiller un jour les 15 mètres.

RENAUD, c’est le Mistral gagnant 

  

Pour vous les jeunes et les moins jeunes quand vous verrez Renaud effectuer des multi-sauts sur le stade ou au Pavillon arrêtez–vous, et prenez le temps de regarder et d’apprécier l’explosivité exceptionnelle de ses pieds. Vous comprendrez pourquoi je dis que c’est un extraterrestre.

Mon Mistral gagnant

Quand j’écoute les premières notes de piano de cette chanson Mistral gagnant, je suis en communion avec le chanteur et le sauteur.

Et que dire du  premier couplet… !

S’asseoir sur un banc et regarder les gens tant qu’il y en aura….

Oui Renaud je veux m’asseoir sur un banc et te regarder sauter…

Te parler du bon temps qu’est mort ou qui reviendra…..

Te parler de tes débuts qui sont morts et regarder devant….

Puis donner à bouffer à des pigeons….

Puis te donner les recettes pour progresser….

L’aube d’une saison hivernale se profile à l’horizon, l’excitation s’empare de moi, que va me réserver cette saison, que va faire Renaud.. ? Sera- t-elle la confirmation que cet extraterrestre va jouer les premiers rôles dans sa nouvelle catégorie U23. Va-t-il repousser ses limites. Va-t-il mettre en avant tout son potentiel, va-t-il monter sur un podium avec ses couleurs noir et jaune qui lui vont ci- bien. Que sera la fin de cette saison hivernale à Saint Gall lors des championnats suisses.. ? Vais- je pouvoir m’asseoir sur un banc admirer et savourer toute sa progression. Va-t-il m’évermeillé. Va-t-il faire de moi un coach comblé.. ?

Réponse sur le sautoir.

Ecrit par Frédy Auberson